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Pendant ce temps, la saga baltique continue...

Nous ne reviendrons pas sur les innombrables rebondissements de ce feuilleton à suspense, et dont la mascarade Navalny n'a été que l'ultime péripétie ; nos Chroniques les ont décrits en long, en large et en travers. Pour les nouveaux lecteurs du blog, rappelons simplement qu'il ne s'agit pas d'une vulgaire guéguerre commerciale mais de quelque chose de bien plus profond. En contrôlant les routes des hydrocarbures, donc des États qui les vendent ou consomment, l'empire américain tente d'enrayer son déclin. Ce que le vénérable Henry Kissinger résumait d'un laconique « Contrôlez le pétrole et vous contrôlez les nations ». Aujourd'hui, l'or bleu a rejoint l'or noir dans la danse.

Les gazoducs russes sont la hantise des stratèges états-uniens, notamment le Nord Stream II susceptible d'unir Heartland et Rimland :

Si quelqu'un doutait encore que les Américains tentèrent, tentent et tenteront de torpiller l'intégration de l'Eurasie et d'isoler énergétiquement la Russie, une membre du comité des Affaires étrangères du Congrès a rappelé fin mai les fondamentaux de la politique étrangère de son pays :

Les États-Unis devraient agir contre le projet russe de gazoduc afin de soutenir la sécurité énergétique de l'Union européenne [défense de rire ; qui eut cru que la novlangue pouvait être amusante ?] L'administration Obama et l'UE ont travaillé contre le Nord Stream II (...) L'administration Obama a fait de la sécurité énergétique européenne une question de haute priorité de la politique étrangère américaine. L'administration Trump serait bien avisée de continuer sur cette voie.

On comprend mieux la frénésie de sanctions impériales s'abattant sur le gazoduc en question, ou plus exactement sur les compagnies participant à sa construction (pose de tubes, assurance etc.) Seul hic, les vassaux européens, certains d'entre eux en tout cas, sont pour une fois en désaccord avec les diktat du suzerain US. C'est tout particulièrement le cas pour Berlin avec le Nord Stream II :

Grande intelligence de Poutine qui parie sur l'égoïsme allemand ; la mère Merkel est toute pleine de paroles grandiloquentes sauf quand l'économie de son pays est en jeu. Avec le doublement du tube baltique, l'Allemagne deviendra le hub gazier d'une grande partie de l'Europe, renforçant encore sa mainmise économique sur le Vieux continent. De quoi faire réfléchir la chancelière...

Le NS II est une merveilleuse pierre d'achoppement jetée par Moscou dans le jardin otanien :

Les noces de Thétis et Pélée furent célébrées en présence de toutes les divinités de l'Olympe, à l'exception d'Éris, déesse de la Discorde. qui n'avait pas été conviée. Pour se venger de cet affront, elle s'invita et jeta sur la table du banquet une pomme d'or gravée de ces mots : "A la plus belle". Evidemment, la discorde éclata bientôt entre Héra, Athéna et Aphrodite qui se précipitèrent pour la saisir. S'ensuivit le jugement de Pâris, l'enlèvement d'Hélène et la guerre de Troie...

En bonne héritière de la culture grecque, la Russie a plusieurs pommes à son arc : S 400, pourparlers de paix en Syrie qui ont saucissonné la rébellion modérément modérée durant des années... Toutefois, le fruit de la discorde par excellence reste le Nord Stream II, comme nous le rappelle un très bon (quoique incomplet) article de International Affairs. L'unité de l'OTAN est mise à mal comme jamais, explique l'auteur, mais ça va en réalité bien au-delà.

Si l'on en croit Bolton, qui semble crédible sur ce point, c'est le gazoduc baltique qui était à l'origine des menaces trumpiennes de quitter l'organisation : puisque nous payons pour votre défense, achetez notre gaz, même s'il est plus cher. La logique mercantile du Donald rejoignait alors, quoique pour des raisons très différentes, les préocuppations du Deep State visant à empêcher la connexion énergétique entre le Heartland et la case européenne du Rimland. Les stratèges américains étaient cependant bien embêtés que l'OTAN, bras armé US sur le Vieux continent, soit mise dans la balance.

Finalement, la question de la sortie de l'Alliance atlantique écartée, tout le monde s'est retrouvé sur la "nécessité" de multiplier les sanctions contre le gazoduc. Mais c'est là qu'intervient la seconde rupture : pour la première fois depuis longtemps, l'Allemagne menace de réagir en imposant des contre-sanctions contre tonton Sam, voire de les coordonner avec ses voisins au nom d'un nouveau concept à la mode apparu il y a quelques mois, la "souveraineté européenne".

Si la notion peut prêter à sourire dans la bouche des Macron & Co, il n'en reste pas moins qu'elle peut avoir son importance dans le divorce euro-atlantique. Quand on sait que la construction européenne a été, dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, échafaudée dans les couloirs de Washington, on mesure le chemin parcouru ou, en décodé, la dégringolade du système impérial.

A cette occasion, une autre rupture, plus personnelle, se fait jour entre le Congrès US, dépositaire de l'étatisme profond, et Frau Milka. On se rappelle que l'élection présidentielle de 2016 avait jeté les euronouilles dans les bras du Congrès américain, au nom d'une commune opposition à l'abominable Donald des neiges. C'était déjà dans les tuyaux, comme nous l'expliquions à l'été 2017 :

La recomposition tectonique à laquelle nous assistons laisse rêveur. Pour résumer très schématiquement en trois dates (respectivement, il y a un an, six mois et aujourd'hui) :

Congrès + Maison blanche + UE    vs     Moscou

Congrès + UE                                          vs     Moscou + Maison blanche

Congrès                                                     vs     Moscou + Maison blanche + UE

Déjà en cause, à l'époque, les sanctions sur ce satané Nord Stream II ! Depuis, les euronouilles ont (pour une fois) tenu et le fossé s'est même accentué, alors que Trump, lui, a changé casaque. Un quatrième axiome a donc émergé :

Congrès + Maison blanche     vs     Moscou + UE

Ligne de fracture atlantique accentuée, rapprochement eurasien. Les alarmes semblent avoir sonné dans les travées du Capitole qui envisagerait le train de sanctions le moins pénalisant, histoire de ne pas exacerber le fossé avec le Vieux continent.

C'est dans ce contexte qu'on apprend la reprise des travaux du gazoduc de la discorde, entraînant immédiatement les protestations de l'ambassadrice états-unienne à Berlin qui réclame un moratoire. Ajoutons qu'un superbe flou artistique entoure l'affaire : l'Akademik Czerski, bien connu de nos lecteurs, est présent sur le site alors que l'Agence maritime allemande a émis un permis pour... un autre bateau ! Un moyen de semer la confusion afin de contourner les sanctions ?

Pour ne rien arranger, celles-ci sont d'ailleurs d'un byzantinisme achevé. Nous venons de dire plus haut que le Congrès hésitait à sortir l'artillerie lourde pour ne pas se mettre à dos ses vassaux européens. Les nouvelles sanctions font une subtile distinction entre acteurs privés, sous pression, et gouvernements, qui ont plus de marge de manœuvre. Allez comprendre...

Et quid de la possible/probable (barrez la mention inutile) présidence Biden ? Alphonse Karr serait bien tenté de nous susurrer son célèbre « Plus ça change, plus c'est la même chose », mais peut-être pas pour les raisons que l'on croit.

En bon Démocrate russophobe et successeur d'Obama, Joe l'Indien ne rêverait que de torpiller définitivement le Nord Stream II. En même temps, et toujours en bon Démocrate impérial, il veut "rétablir le lien transatlantique" (comprendre la soumission des euronouilles) et ne peut se permettre de se mettre à dos Berlin comme le Donald l'a fait. Décidément, le gazoduc de la discorde restera un casse-tête, quel que soit l'occupant de la Maison Blanche...

 

Tag(s) : #Gaz, #Russie, #Europe, #Etats-Unis

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